Suffisance et Ignorance

Des brumes épaisses dans une nuit profonde, ne laissant que peu d'espace à la vision pour ne pas trébucher ou poser un pied dans une ornière. Les mains s'accrochent au moindre support, un arbre, une branche, même morte, même fragile. Il n'y a aucune place pour respirer ! La pensée s'entortille d'elle-même dans un enchevêtrement impossible à dénouer, une sorte de labyrinthe étouffant la raison, aveuglant le regard et finalement laissant l'esprit à ses propres fins.

Pour en arriver là, cet esprit développe une forme d'intelligence, aiguisée sur un mode de comparaison à l'autre et donc la critique, le jugement, la culpabilité. Une façon de penser centrée sur soi afin de pouvoir confirmer son existence sans relâche. Il s'y consacre à plein temps, y construisant un habitacle hermétique, où seules les personnes qui nourrissent une telle mentalité y sont invitées.

Aussi, confirmer son existence par le moi-je, s'ouvrir au monde pour mieux le ramener à soi. S'en inspirer à des fins personnelles. C'est entrer en contact avec l'autre, se nourrir seulement par interrêt, et le laisser pour mort s'il le faut en se persuadant de n'y être pour rien.

La suffisance a pour alliée l'ignorance dans le but de se rendre légitime au monde. Son axe central est de se comparer à l'autre. De ce fait elle développe une sorte de jalousie permanente. Celle-ci s'aiguise comme un sabre ou un couteau à mesure de son utilisation. Elle passe même maître dans l'art du maniement, au point de s'octroyer généreusement quelques trophées. Seulement plus elle en accumule, plus la comparaison à l'autre s'amplifie et plus la jalousie devient agressive.

Celle-ci se charge de juger, de critiquer, d'agresser, de condamner verbalement et en pensée son environnement. Plus elle grimpe sur son piédestal, plus celui-ci grandit. Ce centre tant convoité, ce pic si désiré, ce summum, devient alors inaccessible tant il inspire à l'éloignement. "Court après moi que je t'attrape."

Pour éviter ce point de rupture et justifier son bon fonctionnement, l'ignorance permet de ne pas sombrer et d'abandonner le projet,  de maintenir l'ambition. Ne pas voir, ne rien dire, ne pas écouter. C'est celà ignorer. Rester figé et ne rendre aucun compte. Partir en vacances et feindre un voyage qui finalement se déroule à la maison, chez soi. 

Suffisance et ignorance se répondent mutuellement et nourrissent un esprit ayant une haute opinion de lui-même, tout en sachant que son monde n'a pas vraiment de sol solide et stable.  Il repousse au mieux le moment fatidique où celui-ci va s'écrouler et pour cela, il est prêt à consommer une quantité d'énergie phénoménale. 

A la racine d'un tel processus, la peur le domine et le ronge. Mais il réagit toujours comme s'il s'agissait de la faute des autres. Il ne voyage pas vraiment car c'est la peur qui le maintient dans son monde, dans ce qu'il connaît de mieux. La peur qui lui défend de s'aventurer au delà de son palais.

Il est roi ou reine de son propre empire, où il incarne lui-même chaque personnage dévoué à sa majesté. Il a tout mis en oeuvre pour ne pas avoir conscience qu'au final il est seul, livré à ses propres constructions mentales.

Toute son auto-persuasion repose sur un désir de satisfation personnelle. Et ce désir naît d'une peur ancestrale. La peur de mourir, de disparaître, la peur du néant. 

Peut-être ! Peut-être que le jour va se lever ! Et qu'à la pointe des premiers rayons du soleil, une douce lumière inspire le premier oeil à s'ouvrir, à sentir un peu de chaleur sur le visage. Peut-être aussi que le premier sol du jour, l'herbe humide de rosée, puisse rafraîchir les pieds jusque dans leurs racines, à la pointe ! Peut-être qu'un autre espace invite les mains à s'ouvrir un peu, à sentir l'air passer entre les doigts ! 

Peut-être que la friche n'était qu'un tourbillon de pensées !